[Originally in: French]
Introduction
En Novembre 2017, le Président français Emmanuel Macron promettait dans un discours à Ouagadougou de restituer dans les années à venir le patrimoine africain issu de contextes coloniaux présent dans les musées nationaux français. L’économiste sénégalais Felwine Sarr et l’historienne française de l’art Bénédicte Savoy furent ensuite désignés pour travailler sur les modalités de ladite restitution. Ceux-ci publièrent un rapport en Novembre 2018 dans lequel ils soulignent entre autres la nécessité de la restitution de ce patrimoine (Sarr / Savoy, 2018). L’annonce faite par Macron ainsi que le rapport de Sarr et Savoy eurent des échos dans toute l’Europe et bien au-delà. En Allemagne, les débats portant sur les objets spoliés par les colons allemands s’intensifient depuis lors. En Afrique, même si on peut témoigner d’un intérêt général grandissant pour le sujet, il semble y avoir peu d’intérêt pour le débat sur la restitution dans le cas précis de l’Allemagne. En effet, très peu de chercheurs ont abordé le sujet en lien avec les objets africains et la colonisation allemande. Les politiques eux aussi semblent, de manière générale, ne pas s’intéresser assez au débat. Felwine Sarr rend compte de ce manque d’intérêt en déclarant que huit mois après la publication du rapport sur la restitution, le département social et culturel de l’Union Africaine ignorait encore son existence (Sarr, 2019). Au moment où le débat semble être à son apogée en Allemagne, comment comprendre qu’il y ait si « peu d’intérêt » apparent de la part des Africains ?
Cette contribution se propose d’analyser les défis pour les chercheurs africains dans leur appréhension des questions autour du patrimoine culturel africain issu de contextes coloniaux dans les musées allemands. Nous donnerons d’abord un aperçu sur l’histoire générale de ces objets à polémique, de leur portée dans les débats sociaux-politiques dans le temps, suivi d’une analyse du débat sur la restitution. A côté des barrières linguistiques, l’analyse des défis consistera avant tout à s’intéresser aux politiques de confidentialités et de gestion de données par les musées allemands qui généralement rendent l’accès aux sources difficile aux chercheurs africains. Nous nous attèlerons enfin à mener des réflexions sur une approche permettant de mieux appréhender ces questions. Cette contribution se veut une plaidoirie pour la démonopolisation de la recherche sur l’héritage colonial, jusqu’ici menée principalement par des chercheurs européens.
Objets spoliés et exposés : colonisation allemande et collections ethnographiques
Par « patrimoine africain » nous désignons ici des objets à valeur culturelle acquis dans des conditions controversées et qui se trouvent aujourd’hui dans des musées allemands. A côté des travaux forcés, des expéditions sanglantes pour l’acquisition des terres et la soumission des peuples autochtones, la colonisation européenne de l’Afrique consista entre autres, à une domination culturelle notamment à travers l’abolition de pratiques culturelles, la propagation du christianisme et le transfert massif du patrimoine culturel des peuples colonisés vers la métropole. Dans cette « course aux territoires » du XIXème siècle, l’Allemagne, ardemment à la recherche de sa « place au soleil », colonisa plusieurs territoires en Afrique et dans le Pacifique entre 1884 et 1914. C’est précisément cette période qui constitue l’âge d’or des grands musées ethnographiques allemands en matière de collecte d’objets d’arts non européens.
Même si les premiers musées ethnographiques allemands ont vu le jour avant le début officiel de la colonisation, cette dernière constitua un catalyseur pour l’enrichissement de ces musées en objets ethnographiques. L’ordre colonial offrait beaucoup d’avantages aux « collectionneurs » d’objets d’art africains qui allaient s’en acquérir dans les colonies de manière plus aisée. Ainsi, la pratique de collecte des objets s’intensifia et devint plus méthodique avec la colonisation. Pendant cette période furent publiés huit manuels servant de guide pour les collectionneurs qui partaient faire la “chasse aux objets” hors de l’Allemagne (Sarreiter, 2012 : 44). De nombreuses expéditions dites scientifiques entreprises dans les colonies allemandes permirent la collecte de milliers d’objets africains.
En général, la pratique de la collecte des objets à l’époque coloniale reste controversée. Parmi les différentes méthodes d’acquisition, on compte des achats, des dons ou tout simplement des spoliations alors qualifiées de butins de guerre. A côté des expéditions dites scientifiques, dont le but était de mener des études dans les colonies, des « expéditions punitives » furent entreprises. La mission de celles-ci fut d’asservir les populations locales. Tenir tête à l’ordre colonial pouvait conduire à la destruction de villages entiers et à la confiscation de biens matériels. Le « génocide » perpétré par les colons allemands sur les Héréros dans la colonie de l’Allemagne du Sud-Ouest africain (actuelle Namibie) (Häussler, 2018) en est un exemple parmi tant d’autres. Au cours de ce genres d’expéditions, des objets d’arts furent confisqués et envoyés en Allemagne. Elles représentaient des occasions en or pour élargir les collections des musées, donnant ainsi grande satisfaction aux directeurs de musées. Dans une lettre datant de 1897 portant sur une expédition punitive, Félix von Luschan, directeur du musée ethnographique de Berlin, affirme ce qui suit : « On peut s’attendre à des choses très brillantes. M. von Arnim est bien informé de ce dont nous avons besoin et tentera de faire quelque chose de très soigné. Les coûts seront probablement nuls. » (Sarr/Savoy, 2018 :8). Parmi les « collectionneurs » on compte des missionnaires, des ethnologues, des linguistes, mais aussi des fonctionnaires de l’administration coloniale directement impliqués dans la gestion des colonies. Des réseaux de partage d’objets naquirent dans toute l’Europe, que ce soit entre musées ou personnes privées. La durée du règne colonial allemand fut relativement courte (30 ans), comparée à celle des autres puissances coloniales. Néanmoins, la puissance coloniale germanique a pu se garantir une quantité immense d’objets d’art et de culture africains dont la valeur est inestimable. Des centaines de milliers d’objets du patrimoine africain sont ainsi maintenus dans les musées allemands, alors que des communautés dépossédées sont toujours en manque d’une partie de leur identité culturelle qui y réside. Par exemple, le Humboldt Forum compte à lui seul plus de 75 000 objets africains. Pourtant, en Afrique est difficile de trouver un musée national dont les inventaires dépassent les 3000 objets (Sarr/Savoy, 2018 :12).
Ces objets spoliés avaient un rôle bien précis en Europe. Ils furent exposés dans des musées et servaient notamment à nourrir la curiosité des visiteurs et à la production de savoirs coloniaux. Les savoirs produit ou mieux encore construits sur les peuples colonisés à travers les recherches sur leurs objets, permettaient une exploitation plus « rationnelle » des colonies et influençaient d’une manière ou d’une autre la gestion des colonies (lois coloniaux, système éducatif colonial, rapports entre administration coloniale, missions d’évangélisations et peuples colonisés, représentations etc.). Les rapports de force étant asymétriques pendant les échanges à l’époque coloniale, les objets issus de contextes coloniaux, sont considérés aujourd’hui comme des « objets sensibles » à cause de ces circonstances controversées dont ils émanent (Lange, 2011). Malgré ces méthodes d’acquisition controversées, ils sont encore exposés aujourd’hui par les musées et sont toujours une source de recherches scientifiques – non seulement sur la provenance des objets, mais aussi sur la culture des peuple jadis colonisés. Depuis des années, des initiatives « décoloniales » en Allemagne et en Afrique de même que des États africains revendiquent la restitution de ce patrimoine culturel toujours « prisonnier » des musés européens.
De Mobutu à Macron : de la restitution du patrimoine africain
La question de la restitution n’est pas nouvelle. Elle a juste été réintensifiée par les promesses d’Emmanuel Macron en 2017. En effet, depuis la proclamation de leurs indépendances, certaines anciennes colonies n’ont pas cessé de réclamer la restitution de leur patrimoine culturel spolié durant la colonisation. L’un des moments phares de ces revendications fut l’année 1973. Le 18 décembre 1973, sous l’initiative de Mobutu Sese Seko, chef de l’État du Zaïre (actuelle RDC), fut adoptée à l’ONU la résolution 3187 dont le titre est sans équivoque : « Restitution des œuvres d’art aux pays victimes d’expropriation ». Les signataires de celle-ci soulignent entre autres l’aptitude de l’héritage culturel des peuples à conditionner les valeurs artistiques dans le présent et dans le futur. Mettant en exergue le rôle de la culture nationale d’un peuple dans ses relations avec les autres peuples et déplorant les mouvements massifs d’œuvres d’art durant la colonisation, ils demandent le renforcement des relation internationales à travers une restitution prompte et gratuite de ces œuvres. Ils estiment que cela constituerait une juste réparation des graves préjudices subit par les victimes (ONU, 1973). Signée par 113 États, cette résolution suscita des inquiétudes et une “panique générale” dans le domaine du musée en Allemagne. Sous l’égide du ministère des affaires étrangères, des directeurs de musées ethnographiques prirent position en 1974. Un récent article de l’historienne allemande Anna Valeska Strugalla, qui travaille sur les demandes de restitutions des années 1970 et 1980, montre que dans l’État du Bade-Wurtemberg, quatre directeurs de musées rejetèrent catégoriquement cette résolution. Soulignant à juste titre qu’une telle résolution devait avoir des conséquences sur tous les musées ethnographiques, ils présentèrent les collections muséales de l’époque coloniale comme étant juste des objets de moindre valeur achetés ou offerts par les Africains eux-mêmes (Strugalla, 2020 : 106-107).
L’initiative de Mobutu eut beaucoup d’échos dans le monde et fut accompagnée de quelque répercussions positive. Entre 1976 et 1981, le gouvernement belge retourna au Zaïre au total 1042 objets acquis durant la colonisation belge du Congo (Strugalla, 2020 : 112). Toutefois, cela ne fut qu’une exception. Elle n’eut pas un effet similaire dans les autres pays, encore moins venant de l’Allemagne. Pourtant, des conditions favorables à la restitution étaient bien réunies. Jusqu’au début des années 1980, plusieurs directeurs de musées allemands – plus favorables à la résolution 3187 – plaidèrent pour la restitution de ce patrimoine (Strugalla, 2020 :113-114). Dans cette même lignée, en République Fédérale d’Allemagne, des personnalités politiques, à l’exemple de Hildegard Hamm-Brücher dans un discours officiel, envisagèrent une possible restitution (Sarr/Savoy, 2018 :16).
Les recherches de Bénédicte Savoy montrent que déjà à la fin des années 1970, Pierre Quoniam, un ancien directeur du musée de Louvre avait dirigé pour l’Etat français un rapport sur la restitution similaire à celui de 2018. Le rapport de Quonam était lui aussi favorable à la restitution (Savoy, 2019). Malgré tout, tout s’estompa vers la fin des années 1980. Par ailleurs, les requêtes ne cessèrent pas pour autant. En 2016, le Benin se vit refusé une énième fois la restitution de son patrimoine par la France, celle-ci évoquant le caractère inaliénable de ses collections publiques (Sarr/Savoy, 2018 :17).
La promesse de Macron de faire de la restitution une ses priorités a donc uniquement permis au débat déjà existant de refaire surface. Une question se pose : qu’est-ce qui n’avait pas fonctionné dans les années 1970/1980, la précédente phase intensive du débat ? Pour Savoy, dans le cas de l’Allemagne, il y a une réponse à cette question qui est sans ambiguïté : les musées mentent. Ils cachent explicitement la vérité sur la provenance de leurs collections. D’un commun accord, les grands musées décidèrent de ne pas publier leurs inventaires, en riposte à la résolution 3187, évitant ainsi de susciter la convoitise des objets chez les peuples jadis colonisés (Savoy, 2019). C’est un point capital de la présente contribution.
Inventaires inaccessibles et barrières linguistiques : les défis pour les chercheurs africains dans le débat sur la restitution
En Allemagne, les réactions au rapport sur la restitution sont diverses. Certains acteurs dans le domaine des musées, comme l’historien Hermann Parzinger, évoquent des questions juridiques pour ne pas reconnaitre la légitimité de la restitution. Selon les défenseurs de cette position, une restitution nécessiterait une commission juridique internationale pour trancher sur le statut des objets. Elle préconise la coopération et la circulation (sous forme de prêts) des œuvres d’art à la place de la restitution (Oswald, 2019). A côté de cette tendance non favorable, on peut observer de manière générale beaucoup d’efforts pour poursuivre le débat : conférences et ateliers par des musées, archives et universités, débats scientifiques sur les objets d’arts, émissions de radios etc. En Afrique, le débat ne semble pas s’être intensifié davantage dans le cas des anciennes colonies allemandes, surtout sur le plan politique. L’ambassadeur de la Tanzanie à Berlin Abdallah Possi a réclamé en février 2020 avec véhémence au nom de son pays l’inventaire de tous les objets d’arts et ossements humains de tanzaniens dans les musées allemands, mais cela reste une action isolée si on l’envisage comme une réaction au rapport sur la restitution.
En octobre 2019, une pétition lancée par des chercheurs, artistes et directeurs de musées pour l’ouverture des inventaires des musées allemands et adressée à l’État Allemand, reçut plus de 300 signatures du monde entier (Oeffnetdieinventare, 2019). Une analyse de la pétition permet de constater que les universitaires africains semblent sous-représentés parmi les signataires – si l’on s’en tient aux signatures avec précision de la profession. Felwine Sarr, Kuma N’Dumbe, Soulémane Bachir Diagne, Malick N’Dyage, Albert Gouaffo, Achille Mbembe, Ciraj Hassoul et bien d’autres sont certes impliqués dans le débat sur tous les fronts, et donc aussi en Allemagne. Néanmoins, d’après nos observations de la couverture médiatique, des événements scientifiques et des différentes réactions quant aux objets issus de contextes coloniaux en Allemagne, nous constatons que les regards sont tournés vers la France et qu’il y a peu d’intérêt de la part des chercheurs africains dans le cas de l’Allemagne. Mais alors, pourquoi en est-il ainsi ?
Il y a deux raisons majeures qui peuvent répondre à cette interrogation. La première, nous l’avons déjà évoquée. Les objets spoliés sont jusqu’à aujourd’hui soit conservés dans des dépôts de musées, soit exposés. Néanmoins, dans ce deuxième cas leur provenance et identité exacte restent floues, douteuses ou tenues secrètes d’une manière directe ou indirecte. Seuls quelques rares musées ethnographiques ont mis en ligne les catalogues de leurs collections. La plupart d’entre eux ne rendent pas pour autant ces inventaires accessibles aux personnes externes sans requête spéciale ; les filtres de recherche sur les sites web ne permettent pas de trouver une liste exacte d’inventaires par pays (ancienne colonie) et année d’acquisition. C’est par exemple le cas du Rautenstrauch-Joest-Museum de Cologne qui déclare sur son site web avoir un inventaire précis des objets à sa possession mais qui n’est cependant pas accessible en ligne. Il n’y a donc pas de transparence et la restitution reste dans ces conditions une mission quasiment impossible comme le souligne le rapport sur la restitution :
« Sans inventaire et sans accès facile à celui-ci, les demandes de restitution ne peuvent s’opérer que dans un flou délétère. Le travail d’inventaire […] constitue pour le côté africain un premier pas dans la (re)prise de contact avec des collections dont l’existence (à défaut d’inventaires facilement accessibles) est souvent ignorée par les professionnels africains eux-mêmes, et a fortiori par les sociétés. » (Sarr/Savoy, 2018 : 58)
Cette politique de dissimulation remontant aux années 1970/1980 est restée une tradition. A côté de la dissimulation volontaire des inventaires par les musées, l’État allemand reste en général réticent ou silencieux sur la question de la restitution, craignant que la restitution d’objets d’arts soit le premier pas d’une longue liste demande de réparations pour les crimes coloniaux. Par exemple, la chancelière Angela Merkel ne réagit pas au débat en 2017 malgré l’appel de la diaspora africaine qui lui fut adressée à ce sujet (Sarr/Savoy, 2018 : 12).
La deuxième réponse est relative aux barrières linguistiques. L’allemand n’étant la langue officielle d’aucun pays africain, il n’est pas facile pour les chercheurs de suivre le débat en Allemagne et d’y participer. Les barrières linguistiques rendent les chercheurs africains dépendants des travaux provenant des pays détenteurs de ces objets. En vivant et travaillant dans un pays qui conserve ce patrimoine, les chercheurs européens ont quasiment le monopole sur la recherche sur le patrimonial africain en Europe malgré le fait qu’ils aient moins d’habileté à comprendre le sens de ces objets dans leur contexte culturel.
En résumé, la problématique de l’engagement des scientifiques africains sur la question de la restitution en Allemagne reste liée à deux facteurs primordiaux : l’absence de transparence de la part des musées ainsi que les barrières linguistiques. La recherche sur le sujet est ainsi presque centralisée en Europe, l’accès aux données étant difficile que ce soit pour la population africaine en générale ou pour les chercheurs et spécialistes africains. Souvent, il faut se rendre sur place en Allemagne avant même de découvrir l’existence de ces collections.
Quelques propositions et remarques finales
Au regard de ce qui précède, il y a lieu de penser à une approche pour une meilleure appréhension du thème de la restitution dans le domaine scientifique.
Plusieurs universitaires africains sont très impliqués dans le débat sur la restitution du patrimoine africain dans le cas de l’Allemagne. Mais, généralement, plusieurs d’entre eux ont des connaissances de la langue allemande, s’ils ne sont pas originaires d’un pays anglophone. Albert Gouaffo et Prince N’Dumbe par exemple ont fait des études en lien avec la culture germanique. La plupart des travaux de ces chercheurs qui travaillent directement avec les sources originales en langue allemande, se concentrent sur la Provenienzforschung (la recherche sur la provenance des objets). En Allemagne, depuis des années, la Provenienzforschung essaie de clarifier dans quelles circonstances juridiques et étiques les objets issus de collections étrangères ont été acquis. Même si la recherche sur la provenance est prometteuse, ce travail est néanmoins très fastidieux. Si l’on prend en compte le nombre d’objets à examiner et le temps de travail consacré chacun d’entre eux, la tâche semble infinie. Il semble donc que la Provenienzforschung ne soit pas judicieux comme premier pas.
Avec les réglementations juridiques, les objets n’appartiennent en principe pas aux musées mais constituent des bien publiques, un patrimoine national pour l’Allemagne. C’est d’ailleurs un aspect sur lequel s’appuient les détracteurs de la restitution. Par ailleurs, les demandes de restitution ne sont généralement envisageables que quand elles viennent directement d’un État. Il s’agit de négociations entre États et non entre musées et communautés spoliés. Or, à l’instar de l’exemple cité dans l’introduction, nous partons du principe que beaucoup d’acteurs politiques africains ne se sentent pas concernés par le débat. Leur implication étant nécessaire, il s’avère donc important que les communautés spoliées fassent pression sur ces acteurs politiques. C’est là une autre tâche capitale du chercheur sur l’héritage colonial : informer la population. En lieu et place de la Provenienzforschung, nous proposons un travail systématique sur les inventaires et un travail d’éducation sur l’histoire. Le premier pas de la restitution serait donc de lutter pour l’ouverture des inventaires et des archives. Il faudrait un travail de détection qui devrait aboutir à l’établissement d’une cartographie précise du patrimoine africain en Allemagne, en Europe et dans le reste du monde. Sans cette transparence, il serait difficile d’introduire des requêtes. Un accès libre aux inventaires permettrait un plus grand intérêt de la part de la communauté scientifique africaine pour ces objets sensibles dans les musées allemands. Cela faciliterait le dialogue entre la recherche et les communautés dépossédées. Informées de la présence de ce patrimoine, les communautés d’origine pourraient mettre pression sur leurs gouvernements, qui à leur tour introduiraient des requêtes pour la restitution. A cet effet, le programme international d’inventaires (IIP, 2020) qui vise à inventorier les collections d’objets kényans dans le monde entier est à encourager et devrait s’étendre sur toute l’Afrique. En France, le projet « Vestiges, indices, paradigmes : lieux et temps des objets d’Afrique (XIVe – XIXe siècle) » (IHNA, 2020), dont le but est de rassembler dans une documentation numérique les source des objets d’art d’Afrique, devrait lui-aussi inspirer d’autres projets en Afrique et dans le reste du monde.
Aussi, les résultats des travaux des historiens sur cette question de même que sur l’histoire de la colonisation en générale ne devraient pas juste rester dans des bibliothèques. Au Togo et au Cameroun par exemple, on compte beaucoup de publications de germanistes sur l’histoire de la colonisation allemande. Mais la plupart de ces publications sont en allemand, une langue non accessible à tous. Nous proposons d’écrire dans la langue la mieux accessible au plus grand nombre. Par ailleurs, il faudrait penser résoudre le problème de barrières linguistiques à long terme. L’apprentissage des langues étrangères (allemand, anglais, portugais) serait essentiel dans les études sur l’histoire de la colonisation et sur l’héritage coloniale. Nous ne voulons pas soulever une controverse qui porterait à croire qu’il faille privilégier les langues des anciens colons aux langues locales africaines. Évidemment, il est important d’apprendre le Duala, l’Ewé, le Swahili, le Twi etc. Mais les langues coloniales restent des langues de travail. Il ne s’agit pas par exemple pour un historien d’apprendre l’allemand de sorte à pouvoir s’y exprimer comme Goethe. Cependant, la langue coloniale est une fatalité de l’histoire des anciennes colonies : les archives, les catalogues sur l’héritage culturel, les site-web des musées, les inventaires, sont généralement en ces langues. Étudier l’histoire de la colonisation et avec elle la langue dans laquelle se trouve les sources potentielles de la recherche, permettrait de délocaliser vers l’Afrique les savoirs sur le passé colonial, de mieux écrire sa part de l’histoire partagée, avec des sources premières, d’améliorer la pratique et la consommation de l’histoire par les populations jadis colonisées. Les études en histoire devraient être de manière générale interdisciplinaires. Et si les conditions obligent à écrire dans la langue de l’ancien colon, peu accessible aux communautés pour lesquelles on écrit, il faudrait trouver des canaux d’informations adaptés à la situation en Afrique : par exemple à travers des émissions régulières dans les médias en langues locales africaines, des campagnes d’information sur l’héritage culturel etc. Pour la transparence et la fiabilité de l’histoire, ce serait aux scientifiques de lancer ces genres d’initiatives. Les chercheurs africains ont un grand rôle à jouer pour une restitution effective.
Bibliographie
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